Bien que récemment nommé
co-animateur de la Commission Adoption du Conseil National de la Protection de
l’Enfance, je m’exprime sur ce sujet, en mon nom propre, m’appuyant sur mon
expérience de plus de 20 ans de consultation d’adoption et mes travaux d’anthropologie
sur les adoptions inter ethniques.
Il y a dix ans, Haïti subissait
un terrible tremblement de terre, dont les secousses ont continué à être
perçues pendant de nombreux mois en France. En effet, les spécialistes de l’adoption
(plus ou moins expérimentés) se sont déchirés longuement pour savoir si le millier
d’enfants haïtiens, déjà apparentés à des familles françaises devaient être rapatriés
en France le plus tôt possible ou attendre plusieurs mois, voire plusieurs
années, le temps que la catastrophe naturelle ait pu être digérée.
Je m’étais alors très clairement
et très fermement prononcé pour une arrivée rapide de ces enfants. La
principale raison était sanitaire, je me refusais à accepter de jouer avec la
santé des enfants. Il y avait de nombreuses raisons d’inquiétude. Le risque d’épidémies
(notamment choléra) était majeur, la malnutrition était encore plus présente qu’en
temps habituel, et comme tout le pays, le personnel des orphelinats était en
état de choc : les nourrices (pour beaucoup endeuillées) avaient du mal à
s’occuper des enfants.
De l’autre côté de l’Atlantique
des parents s’inquiétaient justement pour ces enfants qui étaient déjà les
leurs, un certain nombre les avaient déjà rencontré, les autres les avaient largement
investis.
La « lutte » avait été
acharnée et longue mais un an après le séisme, tous les enfants apparentés
avaient pu rentrer.
Depuis le début du confinement,
des enfants, dans divers pays du monde (Haïti en particulier, mais pas
seulement) qui auraient dû arriver en France
depuis la mi-mars sont « coincés » dans leur pays d’origine. Les
parents adoptifs sont, tout à fait normalement, très inquiets, en souffrance
que cette attente, déjà trop longue doive encore se prolonger et réclament à l’Etat
d’organiser les rapatriements.
Contrairement à ma position d’il
y a dix ans, je ne souhaite pas que ces enfants arrivent en France de manière
trop précipitée. La situation est bien différente. En particulier sur le plan
sanitaire, même si un mois, deux mois, trois mois en institution sont toujours
de trop, les enfants ne courent pas le même risque. Pour des raisons pas
toujours compréhensibles, les pays d’origine des enfants sont souvent moins
touchés que la France par le Covid 19. De plus, les enfants, même s’ils vivent
en communauté font très rarement des formes graves de cette maladie et le
confinement n’est (malheureusement) pas une nouveauté pour eux, car les sorties
hors de l’orphelinat sont rares sur presque toute la planète.
On sait aussi à peu près quelle
sera la durée de cette interruption des processus. Et surtout, si en 2010, seul
Haïti était à genoux, en 2020 la planète est arrêtée dans son entier… Sur de
nombreux plans, à commencer par les transports aériens, la situation ressemble effectivement
à un état de guerre. Faire voyager des enfants, seuls, sans préparation, en
respectant les normes sanitaires, menace de faire pencher la balance
risque/bénéfice du mauvais côté.
Mais ceci, ne doit pas nous
empêcher d’être tout à fait compréhensif, et dans l’empathie (c’est-à-dire de comprendre
leur souffrance) avec ces familles qui attendent. Il est nécessaire de les
accompagner, de pouvoir leur donner régulièrement des nouvelles de leurs
enfants, si possible d’organiser des rencontres « visuelles » (Skype,
Zoom, etc) pour maintenir le contact, mais aussi de les aider à organiser leur
voyage, leur rencontre, que tout soit prêt dès que les vols reprendront… on
peut même imaginer des demandes de priorité auprès des compagnies aériennes, pour
que ces parents puissent être dans le premier avion qui les emmènera vers leur
enfant, et que le prix de ce vol ne soit pas trop prohibitif.