mardi 16 décembre 2008

Vent nouveau sur l'adoption ?

Jusqu'à maintenant.... j'étais un peu sceptique.... j'ai été tant de fois déçu par des promesses non tenues, on m'a dit tellement souvent que la structure pilote de prise en charge des enfants adoptés avec formation pour les intervenants que je proposais, ne coutait rien par rapport aux services qu'elle rendait, mais n'ayant toujours rien vu venir, j'ai de plus en plus de mal à croire au Père Noël.
Là, le doute est en moi (la force est déjà avec moi depuis longtemps sinon j'aurais tout laissé tombé il y a plusieurs années). Là, je me pose des questions, la première : suis-je trop naïf ?
Je suis comme l'enfant qui espère ces jours-ci avoir la fameuse console de jeux pour Noël, qui espère, qui espère mais qui sait quand même que rien n'est acquis (je vous rassure mes enfants n'y croient pas, je résiste encore et toujours pour l'arrivée d'une console de jeux chronophage à la maison, et ils l'ont bien compris !).
Mais, quelques dernières rencontres me donnent à penser qu'un vent nouveau se lève peut être sur l'adoption.

Premières choses entendues de la part de Madame Morano. J'en ai rencontré beaucoup des ministres de la famille, souvent d'une grande écoute, ayant un intérêt certain pour les soucis autour de l'adoption, mais préoccupés par d'autres choses. Le "bravo docteur, c'est très bien ce que vous faites, continuez, continuez" est très gentil mais il ne nous aide pas. Et c'est vrai pourquoi aider quelqu'un qui râle comme un putois, qui s'épuise parfois, se décourage de certaines trahisons mais continue coûte que coûte de faire le boulot (c'est de moi que je parle, je m'envoie des fleurs mais ça fait du bien).
Madame Morano donc, sait de quoi elle parle, et les consultations d'adoption elle en parle spontanément, sans qu'on la supplie. C'est un de ces objectifs à court terme et j'ai vraiment l'impression qu'elle ne lâchera pas le morceau. Cela a du bon un ministre bagarreur !
Son deuxième combat l'enfance délaissé et là j'ai bien aimé qu'elle laisse aussi tomber son discours ministériel pour parler en être humain et dire qu'elle en avait marre d'entendre sans arrêt parler de l'intérêt de l'enfant, mais que rien de concret ne se faisse. J'apprécie quand "on fait parler ses tripes" !

Deuxième personalité entendue, Monsieur Monchau, nommé il y a quelques mois ambassadeur pour l'adoption internationale. Et bien son discours a convaincu le grand sceptique que je suis ! Peut-être qu'au vu de la conjoncture son action n'aura que peu de résultats, mais trois choses qu'il a dit montre qu'il prend les choses par le bon côté.
-1° Il n'hésite pas à aller chercher les compétences où elles sont, plutôt que le "moi je sais tout", il est allé voir comment les OAA travailaient. Et ben, cela peut en étonner certains, mais sûrement pas moi, les OAA travaillent bien, les familles me le répètent chaque jour et il semble évident qu'elles ont établis de bons rapports directs avec les autorités locales. Il veut que tout le monde travaille ensemble, que tout se coordonne plutôt que de se tirer dans les pattes. Je me suis permis de lui conseiller d'aller aussi chercher l'expérience auprès des APPO.
-2° Il parle peu de la Convention de La Haye, ne se cache pas derrière ce machin (comme dirait mon idole politique) pour rester dans l'immobilisme et préfère que la France établisse des contacts directs avec les pays d'origine. Ce que j'ai écrit dans mon livre, et que j'ai dit il y a 6 ans au premier ministre de la famille que j'ai rencontré !
-3° Son premier voyage sera pour Haïti, là où il y a certainement le plus de problème, et le plus de risques de problèmes, il ne se voile donc pas la face.

Enfin, à ma consultation de ce matin, j'ai rencontré une famille très sympathique qui vient d'adopter un magnifique petit bout du Cambodge. J'avais déjà vu cette famille en consultation pré adoption et je leur avais expliqué combien il était important de ne pas rentrer dans des malversations. Je crois qu'il n'avait pas besoin de moi pour cela et que leur éthique les aurait empêché de franchir la ligne jaune. Pourtant dans certains pays ce n'est pas facile et les demandes de backchich se font pesantes. Cette famille a pu s'appuyer avec efficacité sur LA volontaire humanitaire de l'adoption, et celle ci leur a permis de mener à bien leur adoption en toute légalité. Cette aide a été réelle et concrète.
C'est là aussi quelque chose de tout neuf que ces volontaires s'occupant à la fois de missions humanitaires et d'aide aux parents en cours d'adoption. Elles ont été créées il y a quelques mois par nos deux ministres Mesdames Morano et Yade, et manifestement cela marche, il n'y en a qu'une pour l'instant, c'est LA volontaire, elle est au Cambodge mais une dizaine d'autres sont en formation pour d'autres pays.

Bienvenue à cette brise nouvelle que je remarque depuis peu, en espérant qu'elle devienne un puissant alizé pour aider les familles à grandir et surtout à le faire dans de bonnes conditions.
Madame Morano, Madame Yade, Monsieur Monchau et tous les autres décideurs, merci de continuer à jouer les éoles.

dimanche 14 décembre 2008

Le prénom : le changer ou le garder ?

Plusieurs personnes m'ont demandé récemment ce que je pensais du prénom des enfants adoptés, doit-on le changer ou le garder ?
J'en parle aussi parce que cela aurait été évoqué il y a quelques temps par le "psy de la télé". Le personnage parle très bien, il sait beaucoup de choses et a fait avancer pas mal de choses pour le bien des enfants et des familles, il a aussi beaucoup d'humour, ce qui est pour moi une grande qualité.
Le souci c'est qu'il parle très bien aussi de ce qu'il connaît moins bien. Et dans l'adoption, j'en ai un peu ras le bol des théories, des théoriciens, c'est avec de grandes théories que dans la médecine on dit (et fait) parfois n'importe quoi. Je crois beaucoup plus à l'expérience, à la pratique.
Je serais bref, et j'encourage ceux qui veulent en savoir plus à lire (ou relire) le chapitre assez long que j'ai écrit dans mon livre sur le sujet.
En bref, c'est bien joli et sans doute bien vrai de dire que cela peut troubler un enfant, déjà un peu grand de ne plus être appelé de la même façon. Mais cet enfant vient déjà de changer de culture, de parents, parfois de pays, le prénom ce n'est finalement qu'un détail de plus dans les changements.
Au contraire, garder son prénom, c'est parfois (je pense à quelques exemples, ce n'est ni de la théorie, ni du militantisme) le retenir un peu dans sa vie d'avant, l'empêcher de trouver sa place. Cette vie d'avant qu'il ne faut pas oublier, qu'il faut respecter, mais qu'il est important de laisser à sa place si on veut progresser.
Pour tout enfant quelque soit son mode de filiation, le choix du prénom par ses parents est quelque chose de capital, une façon parmi d'autres de créer un lien .... 
De plus les prénoms d'origine ne correspondent parfois à rien, ils ont pu être donné par une administration par toujours bienveillante, ils sont parfois impossibles à prononcer, sujet de moqueries, etc...
Mon conseil est de choisir le prénom qui vous plaira, et de garder en deuxième prénom, celui d'origine, sauf s'il a une consonance trop négative (j'ai connu un enfant dont le prénom signifiait malvenu).
Enfin, une petite pensée pour ces trois soeurs arrivées d'Ethiopie il y a quelques mois. Les parents avaient décidés de garder leurs prénoms d'origine, choix tout à fait respectables, ils aimaient ces prénoms. Trois mois après toutes trois avaient fait le choix de leurs deuxièmes prénoms, prénoms bien français, bien gaulois, elles y avaient vu une concrétisation de leur adoption, un moyen de trouver leur place à l'école, dans la société. Les parents se sont inclinés. Toujours écouter et accompagner les enfants !

Conseil Supérieur de l'Adoption

L'arrêté de nomination est par dans le Journal Officiel de hier. 
Je suis à nouveau titulaire au Conseil Supérieur de l'Adoption.
On me l'avait annoncé officieusement depuis quelques temps mais j'attendais un peu, ayant toujours peur d'éventuelles surprises (copinage, etc...). 
J'en suis bien évidemment fier, même si cela m'aurait permis d'avoir un peu plus de temps pour m'occuper de ma famille.
Mais je crois qu'il est tout à fait utile qu'un spécialiste du bien-être de l'enfant adopté soit représenté, quelqu'un qui concrètement passe du temps avec les enfants et les familles, pas un scribouillard ou autre politicard qui sait se placer.
Si mon ami Jean-Jacques Choulot avait été nommé à ma place, cela aurait été tout aussi bien, je crois que nous sommes les deux seuls à avoir cette expérience, plus que certains confrères qui pérorent sur les médias sans avoir jamais trop vu d'enfants adoptés.... ils parlent bien mais qu'est-ce qu'ils peuvent dire comme sottises (je reste poli).
J'espère que comme proposé dans le rapport Colombani, le CSA sera plus écouté que nos conclusions seront diffusés au grand public. Mais ne comptait pas sur moi, pour vous racontez ce qui s'y dit, je suis tenu aux devoirs de réserve, j'espère juste que ses rapports seront enfin rendus publics.

lundi 8 décembre 2008

Le grand méchant loup et Chabal

Trois messages en un jour, on ne m'arrête plus.
Deux petites anecdotes :

Une bien amusante qui m'a été racontée à Clermont par une famille amatrice de rugby comme il y en a beaucoup en Auvergne. Leur petite fille est arrivée en septembre 2007, période de coupe du monde de rugby. Elle a vite compris que c'était un grand moment que de partager avec ses parents et frères et soeurs de regarder les matchs ensemble. Un soir l'équipe de France jouait, et apercevant notre velu destructeur d'anglo-saxon, elle s'écrie : "Chabal", son premier mot en français ! Le papa était fier, je le comprends.


L'autre pourrait être drôle par son côté complètement ridicule, si ce n'était pas une nouvelle preuve de l'enfermement où sont cloîtrés les petits adoptés.
C'est une maman qui m'a demandé mon avis par mail. Comme elle expliquait à une psychologue que sa petite fille adoptée aimait beaucoup une histoire avec un grand méchant loup et qu'elle se passait et se repassait indéfiniment la cassette. La psy lui a expliqué l'attirance de cette petite fille pour ce conte était qu'elle s'imaginait être le loup. Le grand méchant, elle qui se voyait si méchante parce qu'elle avait été abandonnée.
Du grand guignol, à mon avis, quel besoin de tout interpréter ? Je me souviens d'une nièce qui réclamait sans arrêt la cassette de les cochons, où il y avait un grand méchant loup, pourtant elle était gentille puisque non-adoptée ! Mes enfants sont passionnés par les histoires de requins, notre grand méchant loup familial, oui c'est pas désagréable de se faire peur pour de faux.
Je ne suis pas du tout anti-psy, bien au contraire, je leur confie pas mal de patients, et il y a beaucoup de travail à faire en commun. Mais je crois plus en de la psy de soutien plutôt qu'à des délires psychanalytiques. 
La psychanalyse est très intéressante, elle a permis de progresser de comprendre des choses, mais à tout interpréter à tort et à travers, et à ne pas sortir des clous fixés par le vieux docteur Freud, on s'expose à de catastrophes !
Un exemple, une famille me dit s'inquiéter car ils ont remarqué que lorsqu'ils dorment à l'extérieur de leur domicile ils entendent leur enfant adopté grincer des dents. on leur a dit que c'est peu-être une angoisse d'être loin de chez lui, une perte de repères, une crainte d'une nouvelle séparation, d'un nouvel abandon. Pourquoi pas ne pas se demander, s'il ne s'agit pas encore d'un méchant loup et que cet enfant grinceur des dents ne se transforme pas en loup-garou dans son sommeil, peut-être faut-il surveiller le stade de la lune ? 
Je n'ai (presque) pas lu Freud, mais je suis fier de mon bon sens paysan. A mon avis, cet enfant grince tous le temps des dents pendant son sommeil, comme cela arrive à beaucoup de personnes, par contre quand il est à la maison, il dort seul dans sa chambre et personne ne l'entend, alors qu'à l'extérieur, ses parents se rappellent ont constaté le phénomène quand il partageait la même chambre qu'eux. CQFD

Mon fidèle Bernardo

Un tout petit mot, juste pour témoigner comme ça pour rien, de mon affection pour celui que je considère comme un grand monsieur de l'adoption, mon fidèle Bernardo. Pas très connu, mais il gagne à être connu Bernard. N'imaginez rien, je le crois et je l'espère en pleine forme, c'est juste une forme d'hommage gratuit  ce truculent personnage.

Je l'appelle comme cela, depuis que j'ai été Zorro le métèque, certains m'ont peut-être connu sous cette appellation, source d'éclats de rire, quand j'avais attaqué une proie facile, une journaleux de bas talent, d'idées étroites et à la droite hypertrophiée qui s'en prenait à l'adoption internationale. Bernard m'avait suivi et depuis comme pour le justicier masqué et son fidèle compagnon muet, nos liens se sont resserrés. 

Bernard, est tout en moustache, en sagesse et en humour, il a joué dans son jeune temps au rugby à bon niveau (ce qui est une grande qualité pour moi), et il est parmi les fondateurs d'une des plus belles associations de parents adoptifs, qu'il a dirigé très longtemps : l'APAEC.

La plus importante des APPO. Ces Association Par Pays d'Origine ont tout à fait leur place dans le monde de l'adoption, elles sont tout à fait complémentaires des associations généralistes (MASF, EFA). Il y en a d'autres, tout à fait agréables aussi : MAEVA pour la Polynésie (auquel mon coeur est particulièrement attaché et qui méritera un message entier), l'APAER et Adoption Russie, ainsi que Fleur Blanche pour le Vietnam et j'en oublie....

L'APAEC c'est la plus grosse, c'est pour la Colombie, et Bernard s'en est longtemps occupé avant de passer la main au non moins sympathique Jacques. Dans cette association, les familles peuvent trouver non seulement des conseils sur "comment adopter en Colombie" mais aussi comment aider son enfant à être français, mais à savoir aussi d'où il vient : face au racisme on est plus fort si on connaît son origine, plutôt qu'être un anonyme "métèque",  "bougnoul" ou "négro", ce sont les mots que nos enfants entendent chaque jour.
Grâce à Bernard, Jacques et leurs équipes, depuis plus de 20 ans, des petits français nés en Colombie peuvent comparer leurs expériences et jouer à la pignata sous le regard bienveillant du "costaud moustachu".

Il y a quelques années, Bernard a été décoré de l'équivalent colombien de la légion d'honneur, c'est dire combien lui-même et l'APAEC sont considérés en Colombie. Une médaille qui a dû lui faire plus plaisir que si cela avait été la légion d'honneur bien de chez nous.

Bravo encore fidèle Bernardo, je compte sur toi pour de nouveaux combats.

Vacanze romane

Bonjour chers lecteurs, 
Me revoilà après une période de présence peu régulière sur mon blog.
Comme souvent le travail s'accumule et on va au plus pressé, et c'est le blog qui en pâtit, vous avez quand même eu de mes nouvelles par la presse.

Travail, travail, travail, mais pas seulement, le docteur-on-line est aussi parti en vacances fin octobre avec toute sa petite famille à Rome. Une ville magnifique, que je ne connaissais pas, qui nous a tous émerveillé et qui est agréable même avec de jeunes enfants (pas seulement pour les gelati dont ils se sont gavés !)

L'Italie étant par ailleurs le seul pays en 2007 à avoir augmenté son nombre d'enfants adoptés à l'international, c'est d'un oeil curieux que je cherchais les familles adoptives. Que nenni, beaucoup de jeunes hommes du sous-continent indien, qui ont presque le monopole pour servir dans les restaurants, beaucoup de jeunes femmes des Philippines, qui elles trustent les magasins de souvenirs, mais pas le moindre petit vietnamien, haïtien ou éthiopien accrochés à leur mamma.
La seule famille adoptive croisée, cela a été à la sortie de la messe à Saint-Louis-des-Français. Oui, oui, j'ai un peu honte, pas d'aller à la messe, mais en tant qu'anthropologue, aimant se mêler aux coutumes locales, c'est quand même à San-Luigi-dei-Francesi que je vais à la messe quand je suis à Rome... Bon, bon , j'étais avec femme et enfants tout de même. A la sortie, nous sommes tombés sur une sympathique jeune famille (le papa est pilote de chasse, ce que mon coeur de midinette avait bien retenu), membre de l'association Fleur Blanche, qui m'avait gentiment accueilli et guidé, lors de ma conférence dans cette ville pour cette superbe association qu'est Fleur Blanche. Le monde est petit.

Après les vacances, doctor-on-line imite Madona et devient doctor-on-tour. Pas mal de tournées, dans l'ordre : Montceau-les-Mines, Clermont-Ferrand et Muhouse. Je sais, il y a plus touristique comme ville, mes charmants petits camarades pédiatres se sont déjà moqués de moi. Mais comme à chaque fois, il s'agissait de visites éclairs, ce que j'en ai vu m'a beaucoup plu. Des accueils chaleureux, qu'il s'agisse de personnels de conseils généraux ou d'associations comme les EFA locaux, des familles en attente et des échanges toujours passionnants.

Ce n'est pas fini, demain une conférence pour une association d'accompagnement et d'enquêtes judiciaires (éducateurs et assistants sociaux), vendredi 12 décembre, un petit passage dans un gros congrès de dermatologie et à nouveau une conférence pour un EFA départemental, à Tours, où l'accueil, une fois encore semble enthousiaste.

Pour 2009, sont prévus un passage chez les ch'tis, ce qui m'effraie un peu, moi qui est passé plus de la moitié de ma vie à Marseille, et un autre, toujours pour EFA dans mon département de naissance, là où sont mes origines maternelles... Je vous laisse deviner où cela se situe... une consultation on-line gratuite pour la première bonne réponse.

Je vais essayer de continuer dans le foulée et vous écrire quelques messages sur des polémiques récentes, le grand méchant loup et d'autres.

lundi 1 décembre 2008

Pediatrie Pratique

Inlassablement toujours remettre le couvert pour permettre à nos petits adoptés de trouver leur place. Après le grand public grace au biais de Libération, c'est maintenant les pédiatres grace à la sympathique et bien connue reuve mensuelle Pédiatrie Pratique :

Adoption : ni stigmatisation, ni banalisation
Jean-Vital de Monléon
Consultation d’Adoption Outremer
Pédiatrie 1 – CHU de Dijon


Pour ce numéro spécial de Pédiatrie Pratique consacré à la différence, la rédaction a réservé une place pour les enfants adoptés. Cela semble logique, mais pas de la même façon pour tous : les enfants adoptés sont porteurs de particularités, mais ce ne sont pas toujours celles auxquelles l’on pense.
Le récent rapport sur l’adoption de la mission Colombani parle de la nécessité dans le regard sur les enfants adoptés, d’un « ni-ni » : ni banalisation, ni stigmatisation. Depuis bientôt dix ans, la Consultation d’Adoption Outremer s’est imposé le même credo : lutter contre les a priori de l’adoption, et dépister les véritables problèmes. Malgré sa spécialisation, un des rôles essentiels d’une telle consultation est d’empêcher toute mise à l’écart, et de permettre à l’enfant adopté de trouver rapidement la même place que tout enfant dans la société.


L’enfant adopté est différent, c’est certain, mais où commencent et s’arrêtent ces différences ?
La première n’est pas à proprement parler médicale, elle est physique, ethnique. De tout temps, l’homme a été surpris par ceux qui ne lui ressemblaient pas : les étrangers. Il l’est encore plus quand un enfant ne ressemble pas à ses parents. A ces étonnements ancestraux, se rajoute le fait que notre société, et plus encore notre spécialité pédiatrique, sont marquées par la génétique. Nous sommes fascinés par la double hélice de Crick et Watson, par le fait que tant de messages soient concentrés sur quelques paires de bases. Cette science, et son essor actuel, sont passionnants pour comprendre le mécanisme de nombreuses pathologies, pour comprendre l’Homme dans son entier. Mais elle ne doit pas être hégémonique et nous faire oublier que la parentalité ne se limite pas à quelques échanges de gamètes ou d’acide desoxyribonucléique.

Environ un enfant sur 150 est un enfant adopté. Pour beaucoup d’entre eux cette adoption nous saute aux yeux, rendue évidente par la différence physique.
Est-ce nécessaire pour autant de les cataloguer et de les enfermer dans un carcan immuable ?
Est-il utile de parler de « vrais » parents pour nommer les parents biologiques, comme si la loi du sang était la seule vérité, alors que la loi française, et surtout les liens créés depuis longtemps, ont permis à une « vraie » famille de se construire, même sans liens du sang ?
Est-il indispensable de supposer, comme cela s’entend encore trop souvent, que tout enfant adopté est un enfant volé ou acheté, alors que la plupart des adoptions se font sans malversations ?
Est-il bien fondé de croire « qu’il a son pays dans le sang », donc qu’il n’a pas sa place en France, alors que ni l’enfant, ni celui qui prononce cette phrase ne connaissent ledit pays ?
Est-ce une bonne idée de féliciter les parents adoptifs : « C’est bien ce que vous avez fait ! », pour un pseudo acte généreux, alors que, plus de neuf fois sur dix, l’adoption est motivée par un problème de fécondité, et que c’est bien un désir égoïste parental qui est le moteur de l’adoption ?
Est-il raisonnable de culpabiliser l’enfant : « Avec tout ce que vous avez fait pour lui ! », quand l’adolescence se passe mal, alors que, comme toute filiation, l’adoption est basée sur une réciprocité ? On ne fait pas des enfants dans le seul but de donner la vie ou de repeupler la planète, mais parce qu’on a envie d’être parent.
Est-il vrai de croire que chaque enfant ou adolescent sera obsédé par la recherche de ses origines, alors que ce problème qui fascine les média est loin d’être un souci majeur pour la plupart des adolescents adoptés ?

Toutes ces petites phrases sont destructrices, les enfants adoptés iront certainement mieux quand notre société les accueillera mieux. Cet accueil commence par nos mots, nos comportements. N’oublions pas combien, en tant que pédiatres, nous comptons dans la vie de nos petits patients : nous n’avons pas le droit de les mépriser.

Après ces considérations, qui nous touchent comme des acteurs de la société, voici quelques exemples plus médicaux, plus pédiatriques :
Presque tous les enfants adoptés souffrent de diarrhées à leur arrivée, on peut vite, pour un symptôme aussi fréquent, basculer vers la banalisation ou la stigmatisation. Penser, comme c’est souvent le cas, à une conséquence du changement alimentaire est bien naïf. Oublier la présence de parasites intestinaux est ennuyeux, car on les trouve avec une grande fréquence dans tous les orphelinats du monde. Mais, c’est tout aussi grave, après de longs mois d’évolution, de ne pas rechercher une maladie coeliaque, ou une autre pathologie sans rapport avec l’adoption.

Environ un quart des petites filles adoptées après l’âge de 6 ans développe une puberté précoce. Ce phénomène, dont l’étiologie est encore discutée commence à être bien connu, et les diagnostics ne tardent pas trop. Mais s’il est capital, pour préserver la croissance, d’intervenir vite sur une véritable puberté précoce, il ne faut être obsédé par ce seul diagnostic et se précipiter aveuglément sur les analogues de la LH-RH.
La banalisation serait de proclamer que l’âge annoncé est forcément faux, ou que « dans ces pays » on fait toujours sa puberté plus tôt. C’est une manière aisée d’éluder le problème.
La stigmatisation serait de dire que toute accélération de la croissance est une puberté précoce, et là aussi ne pas chercher plus loin, en oubliant d’autres causes toutes aussi réelles et fréquentes : rattrapage d’une carence nutritionnelle ou d’un nanisme psycho-social, puberté avancée simple, erreurs d’âge, etc…
Les enfants et les adolescents adoptés ont un risque bien réel de présenter des troubles du comportement. Le nier serait une banalisation tout à fait nocive. Mais, là encore, la stigmatisation est dangereuse, dès lors que l’on cherche dans l’histoire de cette adoption toutes les causes du problème. Dans le microcosme de l’adoption, on a assisté à des phénomènes de mode : au fil du temps, cela aura été la quête des origines, puis les troubles de l’attachement et enfin le syndrome d’alcoolisme fœtal qui furent accusés de tous les maux.
Tous ces désordres existent bel et bien. Quelques adolescents et adultes, sans doute parce que leur adoption ne s’est pas bien déroulée, souffrent de ne pas connaître leurs origines. Leur détresse est amplifiée car elle touche particulièrement ceux qui n’ont pas été adoptés et qui se sentent rassurés de connaître leur pédigrée. Mais cette détresse reste marginale.
Du fait de conditions de vie difficiles, d’une insécurité importante, des enfants avant leur adoption, ont perdu confiance envers les adultes. Ballotés depuis la perte de leur famille biologique d’institutions en familles d’accueil, ils ont du mal à créer des liens. Ces troubles de l’attachement plongent les familles en grand désarroi, avec des enfants qui refusent tout contact, toute affection et se limitent à des provocations. Pris en charge précocement, ils peuvent s’amender, le diagnostic doit donc être rapide. Posé en excès, il enferme parfois les enfants dans un fatalisme qui ralentit la prise en charge d’autres soucis…. comme un problème plus somatique ou une psychorigidité parentale.
Actuellement, c’est l’alcoolisme fœtal et ses conséquences qui sont à la mode, du fait de sa fréquence élevée en Europe de l’est. Pour certains pays, il faut effectivement avoir toujours en tête ce diagnostic. Mais il est excessif de l’évoquer en premier lieu pour tout enfant adopté qui présente des difficultés scolaires.
Se limiter à ces trois seuls diagnostics serait encore une fois négligent. D’autres causes sont possibles, on sait par exemple que certaines institutions sont maltraitantes, qu’elles peuvent ainsi détruire les enfants qui leur sont confiés. Mais plus encore, il ne faut pas oublier que l’adoption est parfois l’arbre qui cache la forêt. Et si l’enfant à des troubles du comportement, c’est parce que son papa a perdu son emploi, que sa maman soigne un cancer du sein ou que ses parents se séparent. Drames bien réels, qui touchent de nombreuses familles, mais que l’on n’évoquera pas toujours, par pudeur, devant le pédiatre. L’arbre cachant la forêt est parfois bien pratique.
Le « ni-ni » de l’adoption, c’est accepter que les enfants adoptés soient avant tout des enfants, différents mais pas trop ; c’est reconnaître que ces enfants possèdent des problèmes tout à fait particuliers, mais aussi d’autres plus banal pour leur âge.
Accueillir cette différence dans une famille, ou dans un cabinet de pédiatrie, c’est accueillir un enfant pour ce qu’il est.

Pour en savoir plus :
Colombani JM. Rapport sur l’Adoption. Paris, La Documentation Française ; 2008.
de Monléon JV. Naître là-bas, Grandir ici. Paris, Belin ; 2003.
et pour vos petits patients : Les deux Mamans de Petirou de JV de Monléon et R Dautremer. Paris, Gautier-Languereau ; 2001.